Mince comme une gousse

 

c’est un grand homme noir, mince comme une gousse, qui depuis le haut d’une passerelle, debout devant la porte ouverte d’un avion dans lequel il s’apprête à entrer, salue de la main la blonde qu’il a quittée. c’est un grand homme noir dressé, entre les pierres dressées de stonehenge. c’est un grand homme noir, convié avec d’autres individus en complet, à un petit déjeuner dont il est permis de penser que c’est le blond face à lui qui l’a organisé, le second parlant, souriant, le premier grave et muet, à très peu près sinistre, alors qu’à l’écart du groupe, un subalterne en chemise coiffe un samovar d’une botte, qu’il saisit par la semelle pour en plier puis déplier la tige, afin de le chauffer. c’est un grand homme noir en inde, jouissant du déhanché de son épouse. c’est un grand homme noir en blouson, dans une librairie bondée, qu’accompagnent deux jeunes filles dont l’une au moins, aux cheveux décrêpés, le considère avec affection tandis qu’il règle leurs achats à la caisse. c’est un grand homme noir s’approchant, dans une école, de jeunes élèves autour d’une table à laquelle, pour prendre place, il se plie en double mètre, exagérément, sans que lui soit ravie pour autant son aisance, avant de s’adresser à ses hôtes. c’est un grand homme noir qui fait ses commissions dans un pays manifestement chaud. c’est un grand homme noir qui, après sa descente d’avion, déambule sous un parapluie dans de vieilles rues parmi la foule, pénètre dans une cathédrale de style baroque, fait, et l’ignorant, sourire d’aise et agiter la main, dans un décor à la splendeur décrépite, comme pelant, montée pelée d’une époque révolue, deux latino-américaines à leur fenêtre. c’est un grand homme noir, debout derrière un pupitre équipé de micros, que dans son dos un spectateur interrompt, soulignant son intervention de gestes impérieux laissant supposer qu’il proteste contre quelque chose à quoi se trouve mêlé le grand homme noir, qui se tourne posément vers son contradicteur jusqu’à ce que l’incident se close. c’est un grand homme noir debout derrière un pupitre, semi cerné de gradins combles dont les occupants sourient, applaudissent, agitent des drapeaux, avant que de petits rectangles de papier pleuvent du plafond, qui paraissent les pousser à sourire davantage, applaudir plus fort, agiter éperdument. c’est un grand homme noir en bras de chemise, face à un micro sur pied, et qui pleure. c’est un grand homme noir qu’un bonze flanque et conduit, entre des flèches élégantes ornées de céramique, devant un être démesurément long, un bouddha couvert d’or. c’est un grand homme noir forant en compagnie, dans une pyramide égyptienne, la ténèbre étriquée des galeries. c’est un grand homme noir à l’avant-plan, le sphinx en occupant l’arrière, l’image n’étant pas sans évoquer une photographie figurant louis armstrong et son épouse à gizeh, la seconde assise, le premier levant au ciel clair sa trompette abouchée afin qu’il en tire des sons clairs, des sons pour lucille et des sons pour la chimère. c’est un grand homme noir en visite, ce sont ces bains de foule, c’est une fanfare militaire. c’est un grand homme noir une main sur le cœur. c’est une petite femme blonde, charnue, adressant d’un geste ses adieux à un grand homme noir qui, en haut d’une passerelle, va, dès qu’il lui aura rendu son geste, pénétrer à l’intérieur d’un avion par cette porte ouverte dans son dos, et dont à l’atterrissage on le verra s’extraire comme sous une autre espèce.