Le travail un peu fou et désordonné, avec quelques claques et quelques couacs, que j’ai conduit depuis vingt ans, ne m’est devenu clairvoyant que depuis quelques mois. Je publiais des livres pour respirer, pour marcher, pour manger, pour regarder, pour entendre, pour aimer… J’appelais cela l’inventaire et l’exaltation de la vie quotidienne. Je ne peux mieux dire aujourd’hui. ( …)
Mon travail d’éditeur, tel que je le veux, après vicissitudes, sera de connaître, faire connaître, découvrir, étudier, apprécier tous les aspects de la vie quotidienne, actuelle et passée, c’est-à-dire voir et regarder, entendre et écouter, sentir et goûter, peser et photographier, décrire, transcrire, mesurer, savourer les petits gestes, les petites choses qui font la couleur, la forme, le mouvement l’odeur de la vie de tous les jours. 


Essais ou romans. Poèmes ou documents. Arts et gastronomie. Albums ou témoignages, toutes les disciplines de l’expression sont ici sollicitées et permises, œuvres anciennes, oeuvres modernes, oeuvres étrangères. 
Ce programme recouvre et prolonge une partie de ce que je produisais depuis vingt ans. Je n’ai plus guère de temps devant moi pour gambader, en arrière, dans la marge, ou pour participer à des actions violentes qui furent toujours détroussées et récupérées par des techniciens en politique.


À la limite, tous les livres que je publierai constitueront un abécédaire…


En publiant la création des hommes, sous toutes les formes où elle s’exprime – la fourchette, la chaise, la chanson, la poupée, le mensonge, la tarte ou la rose – c’est la dernière et la meilleure manière qui me reste pour inviter chaque homme à en faire autant, là où il est, ou tout au moins l’aider à retrouver une parcelle de son bonheur, de son honneur, détruits ou ensevelis, mais qui ne peut pas mourir…
La création du monde est continue. »

 

 

Robert Morel, dans « Robert Morel Editeur » de Marcel Garrigou.