Mais dès qu'on regarde entre les formes, le cauchemar s'évanouit, quelque chose d'inattendu et d'inconnu se dévoile, une circulation d'atomes aériens, un enveloppement discret, une ombre transparente et à peine teintée qui flotte autour d'elles et les transfigure. Velasquez, après cinquante ans, ne peignait plus jamais une chose définie. Il errait autour des objets avec l'air et le crépuscule, il surprenait dans l'ombre et la transparence des fonds les palpitations colorées dont il faisait le centre invisible de sa symphonie silencieuse. Il ne saisissait plus dans le monde que les échanges mystérieux, qui font pénétrer les uns dans les autres les formes et les tons, par un progrès secret et continu dont aucun heurt, aucun sursaut ne dénonce ou n'interrompt la marche. L'espace règne. C'est comme une onde aérienne qui glisse sur les surfaces, s'imprègne de leurs émanations visibles pour les définir et les modeler, et emporter partout ailleurs comme un parfum, comme un écho d'elles qu'elle disperse sur toute l'étendue environnante en poussière impondérable.

 

Elie Faure, in Histoire de l'Art, L'Art Moderne I.