— On monte sur un arbre ? proposa l'Idiot.


Dans cette forêt sauvage, vivaient toutes sortes d'insectes et d'oiseaux. Le sol était trempé. Nous n'avions plus qu'à grimper dans un arbre pour éviter de devenir le repas de quelque animal sauvage.


Une fois hissés sur un arbre, nous nous accroupîmes sur une grosse branche, dos contre dos pour avoir un peu plus chaud. pendant la nuit, ni le vent ni la pluie ne cessèrent. Nous n'osions pas dormir de peur de nous blesser ou de nous tuer en tombant. A demi conscient, tremblant, je dois dire à ma grande gêne que j'étais moins fier qu'un moineau réfugié sur sa branche.


Au lever du jour, la pluie n'avait toujours pas cessé. Nous descendîmes de l'arbre en toute hâte pour nous allonger sur le sol, sans nous occuper de la boue et de l'eau. Les muscles de nos jambes qui étaient restés pliés tiraient, mais cela soulageait vraiment nos reins !


J'étais complètement désespéré. Après cette forte pluie, les herbes que nous avions coupées auraient repoussé et nos traces seraient très difficiles à trouver. Et si nous les recherchions une à une, nous risquions de ne pas pouvoir sortir de la forêt avant longtemps. Et dire que nous avions stupidement marché pendant toute une journée. Hébétés, nous ne disions mot, mais chacun avait compris la situation.


— Alors, qu'est-ce qu'on fait ? demanda l'Idiot. je t'écoute.


Son attitude était très ferme. L'air de dire : "Si je veux m'appuyer sur  quelqu'un, je dois être plus ferme que lui."


Après avoir tourné et retourné le problème dans ma tête, je dis à l'Idiot :


— Voilà : nous ne devons pas bouger d'ici. Nous n'avons marché qu'une journée, nous ne sommes donc pas très loin de l'équipe de production. Si nous continuons à marcher, qui sait si nous allons nous éloigner ou nous rapprocher. Mais maintenant, nous devons préserver nos calories. Nous ne devons ni uriner ni faire nos besoins. En temps normal, est-ce qu'on ne frissonne pas quand on a fini d'uriner ? Eh bien, c'est parce que l'urine emporte la chaleur que contient le corps en faisant frissonner les os. Sur cette montagne, il y a souvent des chasseurs. Tendons l'oreille et, au moindre bruit, appelons. Si l'on voit quelqu'un, on sera sauvés, non ?


— D'accord, faisons comme ça. Mais je n'arriverai jamais à me retenir de pisser.

 

 

A Cheng, in Perdre Son chemin, trad. du chinois par Noël Dutrait.